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Interview avec Dominique Ropion
Poète méticuleux, esthète rationnel, Dominique Ropion est un oxymore à lui seul. « Enfant, je sentais tout, même une poignée de main ! »se rappelle en riant Dominique Ropion. « J’appréhendais le monde par les odeurs, davantage que par les parfums. J’ai découvert ce métier très tôt, mais l’idée m’est venue beaucoup plus tard » résume-t-il avec une pointe d’étonnement.
Afin de creuser dans la mémoire olfactive et le processus de création de ce génie de l'olfaction, nous sommes partis l'interviewer sur l'île de Jatte, près de Paris.
Votre première rencontre avec un parfum ?
Cela doit être celui de ma mère « Calandre » de Paco Rabanne.
Quel est votre plus vieux souvenir olfactif ?
Au risque de surprendre, un de mes plus vieux souvenirs olfactifs est en fait l’odeur du métro parisien et ses facettes de para-crésol ! Cela aurait certainement été plus poétique de vous parler de jasmin en fleurs ou de rose, mais la réalité est que j’ai grandi à Paris. Ces odeurs métalliques et de goudron chaud se sont rapidement imprimées dans ma mémoire olfactive. Sans m’en rendre compte, enfant, je sentais tout ce qui m’entourait au quotidien, sans jugement et sans analyse.
Vous dites avoir toujours un livre de poésie avec vous. Quel est votre auteur favori ?
Georges Perec, j’apprécie beaucoup cet écrivain. Tout comme Jacques Roubaud, il faisait partie de l’Oulipo, abréviation de l'Ouvroir de littérature potentielle, qui est un groupe de littéraires et de mathématiciens se définissant comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ». Ce groupe est passionnant, ils s’imposent en fait des contraintes expérimentales d’écriture, comme par exemple d’écrire un texte sans utiliser la voyelle E et uniquement la voyelle A. Ces gymnastiques d’esprit m’amusent beaucoup et me permettent de percevoir les contraintes que j’ai lorsque je travaille une nouvelle création - contraintes de prix, de règlementation, etc - comme des jeux ! J’ai en tête également Raymond Queneau, qui dans son « Cent Mille Milliards de Poèmes » a découpé les vers de différents poèmes pour laisser le lecteur en obtenir de nouveaux en combinant chacun d’entre eux au hasard. J’aime envisager que les matières premières et les accords peuvent eux aussi s’associer indéfiniment, en offrant des combinaisons surprenantes et inédites !
Quelles sont vos matières premières préférées ? Pourquoi ?
Vous le savez, j’aime particulièrement les fleurs, dans toute leur complexité. Notamment les odeurs de fleurs qu’on pourrait considérer primaires comme la rose, le narcisse, la fleur d’oranger, le jasmin, la tubéreuse, la violette. J’aime travailler toutes les facettes vertes, pétalées, fraîches et sensuelles mais aussi les notes de pétales séchés que peuvent offrir ces magnifiques matières premières naturelles : une seule fleur peut raconter des milliers d’histoires différentes, suivant le contexte dans lequel elle s’inscrit… J’affectionne aussi les ingrédients de synthèse, comme le cashmeran, qui offrent un caractère complexe et facetté : j’adore ses nuances sèches et fruitées de pin, qui révèlent ensuite une facette framboise légèrement musquée.
Vous avez déclaré par le passé que pour créer un bon parfum il faut « connaître ses classiques » ou « bien étudier ce qui nous précède ». Qu’est ce qui fait un grand parfum d’exception ?
Le fait de connaître les structures classiques nous permet de mettre spontanément en forme une idée créative, à la manière d’un compositeur de musique, qui développe une petite mélodie qu’il a en tête, pour en faire une symphonie. Un grand parfum d’exception est un parfum qui possède une identité nouvelle, singulière, un sillage reconnaissable entre mille.
Qu’est ce qui rend les parfums suivants si uniques, au point de pouvoir les reconnaitre dans la rue ?
Portrait of a Lady
Ce parfum a quelque chose d’hypnotique, une sensualité terrible avec beaucoup de caractère : le charme de la rose turque est sublimé par un cœur de patchouli aux nuances de santal et d’encens.
Carnal Flower
Cette tubéreuse magnétique, contrastée par des tonalités épicées, dévoile une force et un charisme d’exception, à la fois diffusif et proche de la peau avec son lit de muscs blancs.
Cologne Indélébile
Je suis encore impressionné par la ténacité de ses notes hespéridées. Nous avons fait avec Frédéric un vrai travail technique sur ce point particulier, tout en travaillant sur une signature singulière. Cologne indélébile est une fragrance double, en clair-obscur, révélant un musc à la fois innocent et sombre.
Géranium pour Monsieur
Géranium pour Monsieur est en fait le précurseur de Portrait of a Lady. Cette note rosée, qui s’exprime dans Portrait of a Lady par une sensualité opulente, se révèle ici avec une fraîcheur nouvelle.