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Interview avec Bruno Jovanovic
Avec son talent et son originalité, Bruno fait un pont entre le rêve américain et le mythe de la parfumerie française. Il se sent si « intime » avec les matières premières qu’il en décrypte toutes les phases de maturation jusqu’à anticiper leur forme olfactive définitive. Aussi intellectuel dans la création qu’artiste dans l’âme, il revendique le principe philosophique de Kant selon lequel « ce qui est beau est universel et sans concept. »
Quelle est votre devise ?
Less is more. Aller vers le simple et éviter les fioritures. La création d’un parfum doit être simple, bien qu'elle soit souvent longue car tout doit être parfaitement équilibré. Je n'aime pas utiliser trop de bases et je préfère limiter le nombre de matières premières employées, comme on fait dans la peinture ou dans l’architecture d’intérieur. Cela est par ailleurs devenu ma signature dans les parfums : un message simple et clair qui peut être identifié immédiatement.
Votre plus vieux souvenir olfactif ?
La coiffeuse de ma mère, habillée en velours bleu, bourrée de parfums : Calèche, Rive Gauche, Cabochard. D'un point de vue olfactif, ce sont des chyprés ou des floraux aldhéhydés et ils correspondent toujours à ma définition de la féminité. Quand ma mère partait travailler et que je me sentais seul, ces souvenirs olfactifs étaient la seule façon de me sentir près d'elle.
Qui a été votre mentor chez IFF ? Ou quel professeur vous a le plus marqué à l’ISIPCA ?
Dominique Ropion, mon professeur de formulation à l’ISIPCA. J’étais son meilleur élève ! Du moins c'est ce qu'il raconte à ses élèves mais peut être qu’il y a un peu de vérité là-dedans... A mon arrivée à New York chez IFF, je travaillais juste à côté du bureau de Sophia Grossman, célèbre parfumeur américaine d’origine russe. Elle a notamment créé la fameuse rose violette qui a changé les années 80 et le Dawny (l’assoupline) ; elle a également co-signé Beautiful d’Estée Lauder et créé par la suite Paris d’Yves Saint Laurent, Eternity de Calvin Klein, et Trésor de Lancôme. Imaginez être peintre et qu’on vous installe juste à côté de Picasso !
Quelles sont vos matières préférées ? Pourquoi ?
J’aime toutes les matières, mais particulièrement le patchouli, pour son caractère terrestre (côté terreux) autant qu’extraterrestre (un accord très aérien composé d'une note montante de patchoulol et de notes camphrées). Par ailleurs, le patchouli c’est la matière le plus souvent préférée par les parfumeurs, car intemporel.
Vous avez habité aux USA pendant longtemps. Y a-t-il une différence entre la création de niche aux USA par rapport à Paris ?
Les processus de création ne sont pas vraiment différents, car beaucoup de marques, même celles basées aux US, sont dirigées par des Européens. Je remarque en effet que beaucoup de chefs d'entreprise (tels que Kilian Hennessy, Frédéric Malle, Eddie Roschi et Fabrice Penot) ayant une mentalité très entrepreneuriale sont basés aux US, où ils ont installé leur propre avant-poste.
Quelle est votre interprétation de « Monsieur. » d'Editions de Parfums Frédéric Malle ? En quoi est-ce un chypré si unique ? Comment s’est passé le processus de création avec Frédéric ?
Le nom provient du fait que Frédéric m’appelait toujours « Monsieur ». Je lui ai proposé d’imaginer son propre patchouli, et c'est comme cela qu'il a conçu cette fragrance très cuirée, avec plus de 52% de patchouli, ma matière préférée. Un duo d’émulation réciproque, un processus « win-win ». Plus qu’un chypré, c'est une ode au patchouli. La touche de rhum ajoute un côté masculin, très British, qui rappelle les vieux clubs londoniens.
Et de Dries Van Noten ? En quoi est-ce un oriental si unique ? Comment s’est passé le processus de création avec Frédéric et Dries ?
Il s'agit d'un « oriental flamand », inspiré de la personnalité, de la provenance et de la sensibilité de Dries. Chaque fois que Frédéric se rendait chez Dries, ce dernier l’accueillait toujours avec de petits gâteaux flamands : des notes de girofle, de cannelle, voire des traces de gingembre. Une ambiance très cosy et chaleureuse. Il fallait y ajouter un bois aux senteurs douces, crémeuses et luxueuses pour lui donner plus de corps : on a choisi le santal. Un travail à six mains, une collaboration mêlant le langage du parfum à celui de la mode.