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Aurélien Guichard passe à l'antenne
La parfumerie est chez vous une histoire de famille. Qu’est-ce qui vous a donné envie de suivre le même chemin que vos ancêtres ?
Mon envie est née de plusieurs vécus, de plusieurs ressentis. Je pense à la passion du naturel, transmise par mes grands-parents, qui cultivaient la rose, le jasmin et la verveine dans ma région natale près de Grasse. J’ai grandi entre Paris et leurs récoltes, qui m’ont laissé des souvenirs fabuleux.
Il y a également la vocation artistique de mes parents – mon père, parfumeur, et ma mère, sculpteur. J’ai vu à travers le travail de mon père les joies autant que les limites, voire les peines liées à ce métier. Mais j’ai surtout été fasciné et attiré par l’engagement total et nécessaire de toutes ces personnes que j’ai fréquentées quand j’étais enfant et adolescent, qui étaient parfumeurs, peintres, sculpteurs, pour rendre ce métier de création l’un des plus beaux métiers du monde.
Quel est votre plus vieux souvenir olfactif ?
J’ai ce souvenir, enfant au début des années 80… Nous sommes à Grasse, en août, il est presque midi. La récolte de jasmin bat son plein. Je vois mon grand-père devant la balance, réunissant les cueilleuses pour peser leur récolte du jour. La scène se passe dans un vieux cabanon, à l’ombre. L’odeur des fleurs dans les panières se mélange à celles de la terre battue, du kérosène des machines agricoles, des toiles de jute… Elle est restée gravée dans ma mémoire.
D’où vous est venue l’idée de fonder une marque dont chacune des créations sublime les facettes d’une matière en particulier ?
En 2014, j’ai eu le souhait de poursuivre l’engagement de mes grands-parents pour ce savoir-faire régional de la culture des plantes à parfum, et de prolonger leurs relations avec tout un groupe de personnes qui contribuaient à la qualité et la prospérité de leurs récoltes – tailleurs, cueilleurs… Tout en continuant mon travail créatif en tant que Parfumeur, j’ai pris le statut d’agriculteur et fondé un domaine certifié Ecocert dans la région de Grasse, sur lequel j’ai planté de la Rose Centifolia. Mes deux associés, qui étaient depuis des années l’un mon client, l’autre mon collègue et qui étaient devenus des amis, ont également des attaches familiales dans le Sud de la France et ont été témoins de la naissance du domaine. Nous avons réalisé que nous partagions cette envie de mettre la beauté brute du naturel au cœur d’une création olfactive de la plus haute qualité. Il nous semblait que, par trop d’associations avec de nombreux autres ingrédients, aucun parfum aussi beau qu’il soit n’était véritablement dédié à révéler la texture d’un ingrédient naturel central, utilisé en overdose. MATIERE PREMIERE était née.
Comment réussir à innover lorsqu’on se concentre sur une seule matière ?
J’entendais souvent autour de moi que les parfums « sentent tous un peu pareil ». Sans partager ce constat, je me suis dit qu’il devait y avoir une forme de vérité dans cet adage.
J’ai voulu réussir à créer des parfums qui séduiraient autant les gens qui ne se parfument plus et que ceux qui aiment les beaux parfums. Or, une forme de beauté universelle existe dans l’appréciation d’une matière première brute. Je l’inclus dans une formulation simple, compréhensible de tous, pour faire ressentir le plaisir de comprendre ce que l’on porte.
J’avais envie de créer des parfums qui laissent un vrai sillage, sans pour autant être envahissants, dérangeants. Des parfums qui feraient que plusieurs fois par jour, on vous demande ce que vous portez.
Entre parfumeurs, nous disons souvent que moins l’on a d’argent pour formuler, plus les formules sont longues. Fort de ce constat, je suis allé à l’inverse : une formulation simple, autour d’un ingrédient central d’une qualité extrême, sans compter.
Je voulais que la texture de l’ingrédient soit palpable. Que le parfum porté soit compréhensible; juste amplifier et estomper certaines facettes de chaque matière première principale. Il s’agit donc pour chaque parfum d’une nouvelle création, guidée par la recherche de l’unique.
Depuis la création de la marque, quel a été votre plus grand défi ?
Quand vous combinez la création et l’entrepreneuriat, les défis sont permanents. Nous nous sommes lancés fin 2019, quatre mois seulement avant le début de la crise du COVID, qui nous a poussé à trouver des solutions pour continuer à présenter nos parfums, tant à nos clients finaux qu’à nos partenaires retail potentiels à travers le monde, alors que tout était fermé.
Mais ce sont les défis posés par la création de chaque nouveau parfum qui sont fascinants : trouver l’ingrédient central le plus exceptionnel, le doser en si hautes proportions que ses travers peuvent ressortir autant, parfois plus fortement que ses aspects les plus beaux, et le façonner, jusqu’à exprimer la beauté de sa texture telle que je la perçois. Et faire en sorte que chaque nouvelle création rejoigne la collection déjà existante en tout point : un style olfactif direct, contemporain, doté d’une projection et d’un sillage inégalés, tout en restant extrêmement confortable au porter.
Comment sont extraites les Roses Centifolia que vous cultivez dans vos propres champs ?
Nous faisons appel à une entreprise de la région, hautement respectée et qualifiée, ayant un vrai savoir-faire dans les processus d’extraction et de distillation, pour s’occuper de nos fleurs. Elles sont cueillies à la main, chaque jour de Mai. Elles sont ensuite livrées immédiatement (dans l’heure) à l’usine pour être extraites et transformées en absolu. Ainsi on en préserve toute la fraîcheur.
Pourriez-vous davantage nous parler de la slow perfumery ?
J’aimerais surtout vous parler de parfumerie de haute qualité… Ce qui est appelé « slow perfumery » correspond pour nous à un retour à l’essentiel de la qualité dans l’élaboration d’un parfum, le retour à certaines pratiques qui ont été négligées pendant quelques temps, pour diminuer la complexité industrielle ou créative.
Les processus de vieillissement (maturation et macération), l’agriculture biologique, l’utilisation d’ingrédients d’une grande qualité olfactive mais aussi éthiques font à mon sens partie de la complexité liée à l’excellence, à une forme de quête de l’unique.
Nous avons intégré toutes ces pratiques, allant même jusqu’à produire nos propres Roses Centifolia et Tubéreuses : c’est unique !
Quelle matière sublimez-vous dans French Flower, votre nouveauté ?
Il s’agit d’un des absolus floraux les plus coûteux au monde : l’absolu de Tubéreuse de Grasse. La Tubéreuse est à l’origine une plante de la famille des agaves, implantées à Grasse depuis plusieurs centaines d’années. Elle est aujourd’hui beaucoup cultivée en Inde notamment. La façon dont nous la cultivons à Grasse est particulière, puisque nous sortons les bulbes de terre en novembre pour les préserver de tout risque de gel. Nous les replantons ensuite en mai. Les longues tiges poussent, gorgées des nutriments du sol, de soleil et de beaucoup d’eau, et fleurissent à partir de la fin du mois d’août. Les fleurs sont d’un blanc éclatant, la tige d’un vert croquant, et le parfum qu’elles libèrent chaque jour à la tombée de la nuit est tellement envoûtant, qu’on a longtemps interdit aux jeunes gens non mariés de se promener près des champs de tubéreuses.
Il existe déjà de magnifiques parfums qui rendent hommage au côté fatal de la tubéreuse. Ce sont tous en réalité des bouquets de fleurs blanches, où l’on sent également le jasmin, l’ylang. J’ai mis au cœur de French Flower la tubéreuse, à l’exclusion de toute autre fleur - si ce n’est une trace de fleur d’oranger. J’ai pour cela travaillé un accord entre l’Absolu de Tubéreuse de Grasse, qui révèle toute la puissance florale, avec un enfleurage de Tubéreuse de Grasse, qui souligne son côté sensuel, son côté peau chauffée par le soleil. Et j’ai voulu recréer l’odeur de notre champ de tubéreuses, les soirs d’été à Grasse.
Quels sont vos projets futurs ?
MATIERE PREMIERE est une source de projets constante et enthousiasmante. Je mets mon savoir-faire de parfumeur au service des ingrédients naturels les plus exceptionnels, la source d’inspiration est tellement riche. Nous projetons de lancer un nouvel opus à la rentrée 2022.
Et nous allons bientôt démarrer sur notre domaine la culture de la lavande, qui rejoindra celles de la Rose Centifolia et de la Tubéreuse.