Parfumeur chez Givaudan depuis l’an 2000, Louise Turner a signé des fragrances à succès pour tout l'industrie mais elle développe aussi des parfums plus singuliers. On lui doit "Lazy Sunday Morning" chez Maison Martin Margiela, l’occasion d’interroger sa fibre créatrice et de plonger dans son histoire pour découvrir ce qui l’inspire pour créer.

Quelle est votre devise?

La clé est dans la sobriété.

Vous avez été élevée dans le Kent, au sud du Royaume-Uni. Quel est votre premier souvenir olfactif?

Les premières choses qui me viennent à l'esprit sont la cigarette et de bois, qui me rappellent mon père. Il était chimiste, mais une de ses passions était le bois. Il avait l'habitude de travailler le bois, le couper en petits morceaux pour créer de beaux objets. Je me souviens de l'odeur intense de la sciure de bois qui se mêlait à celle des cigarettes qu'il fumait. Ces odeurs me fascinaient et continuent de me fasciner. J’ai aussi une forte mémoire de l'odeur de la vieille maison victorienne ou j’ai passé mon enfance. Elle avait une odeur très spécifique, difficile à définir, mêlant le vieux bois et la poussière. Enfin, l'odeur de mon jardin quand j’étais enfant m’a marquée: celle de l'herbe fraîchement coupée et du chèvrefeuille qui représentent pour moi l’odeur de l'été dans le Kent.

Quelle est pour vous la différence entre marques de niche et marques commerciales? Quelle différence cela représente dans votre travail?

Je reçois plus de restrictions des marques commerciales parce qu'ils font beaucoup de tests consommateurs. En outre, beaucoup de gens sont impliqués dans le processus de création: je dois faire davantage de compromis et convaincre toute une équipe de personnes avec des normes et des préférences différentes. Pour moi, il est plus facile au contraire de travailler pour des marques de niche. C’est la manière la plus pure pour un parfumeur de créer un parfum: je fais ce que je veux, j’ai plus de liberté. Je n’ai pas nécessairement à être consensuelle car il n’existe aucun test commercial. Je peux traduire mes idées d'une manière plus directe. La relation avec la marque est aussi simple car je travaille en général avec une seule personne. C’est une façon plus frontale de créer un parfum.

Maison Martin Margiela, est-ce pour une marque de niche en parfumerie?

Évidemment Martin Margiela est une marque de parfum de niche: là aussi il n’existe pas de test consommateurs et je travaille étroitement avec un partenaire spécifique de la Maison Martin Margiela. Il y a plus de liberté dans le processus de création. Mais dans un sens, comme une maison de mode, Maison Martin Margiela est plus exposée à la sensibilité du public, ce qui conduit à plus d'exposition pour les parfums. Maison Martin Margiela a à la fois les avantages d'une marque commerciale et d'une marque de niche. 

Qu'est-ce qui vous a inspiré spécifiquement pour les créations de Lazy Sunday Morning?

Au début, c’est une couleur. Le blanc. Lumineux, virginale, propre. Tout mon défi était là. Comment olfactivement retranscrire les sensations d'une couleur? Ensuite, j’ai eu l'idée de concevoir le parfum comme le lin, le coton, comme cette lumière et cette matière agréable qui caresse la peau avec sensualité. Je voulais travailler ce côté délicat, pur et sobre de la couleur blanche, dans une élégance à la fois moderne et intemporelle où l'écriture est claire, raffinée tout en étant douce et enveloppante. Élégants et confortables, les muscs me semblaient un bon point de départ, parce que c’est en même temps une matière remarquable, douce et durable. La luminosité de leurs couleurs, leur texture lisse et soyeuse, leur légèreté, leur donnent un aspect unique de toute beauté. J’ai choisi de travailler dans la finesse et le minimalisme comme pour un vêtement immaculé, simple, dans lequel la peau aurait plaisir à se glisser. Ajouté à cela, j’ai entrelacé une fraîcheur étonnante où les aldéhydes s’expriment tout en rondeur et la finesse, ce qui bonifie la tonalité claire et élégante des muscs.