Julien Rasquinet est parfumeur. Diplômé d’école de commerce, la rencontre extraordinaire avec le maître parfumeur Pierre Bourdon le fit changer sa destinée. Citoyen du monde, il aime voyager et vit aujourd'hui entre Paris et Dubai, où il pioche cette inépuisable inspiration orientale. Il est créateur de parfums pour plusieurs marques chez Nose dont Naomi Goodsir, Histoires de Parfums, etc.

Quelle est votre devise ?

Explorer le monde. Toute création est le fruit de rencontres, avec des personnes, des cultures, des paysages. C'est du reste pendant les vacances qu'ont tendance à me venir à l'esprit les idées les plus fortes.

Quel est votre plus vieux souvenir olfactif ?

Ce sont les odeurs liées à la Normandie, ou j'ai passé tous mes weekends et toutes mes vacances depuis le plus jeune âge. J'ai un souvenir ému des odeurs d'herbe coupée, de balades en forêt, d'humus, de chevaux, de pommes blettes tapissant le sol en septembre. J'ai aussi un souvenir très fort de mes vacances à Knokke-le-Zoute, où je partais tous les étés chez mes grands-parents, son odeur mélangée de pierre humide et d’iode.

Qui a été votre maître parfumeur qui vous a le plus influencé dans votre carrière et pourquoi ?

J'ai eu la chance de rencontrer Pierre Bourdon, c'est lui qui a proposé de m'apprendre le métier alors que je ne lui avais rien demandé ! Nous étions deux, Julie Massé et moi, à avoir été formés dans une ambiance familiale, de compagnonnage. C'était l'un des parfumeurs que j'admirais le plus au monde, ça a donc été une chance assez insolente qu'il me propose de me former alors que je sortais d'école de commerce et que je ne connaissais rien au métier de parfumeur. Ça a été 3 années exceptionnelles, où il n'a pas été avare de son temps ni de son savoir, où l'on discutait absolument tous les jours avec lui, il nous a transmis sa passion, sa technique, et sa philosophie. Il nous a appris la rigueur dans le choix de nos matières premières, une exigence de clarté dans la réalisation, à exprimer notre fantaisie, par la surdose, l'exagération, l'esprit d'initiative, et enfin la parfumerie narrative. Il y a aussi eu une rencontre, plus récente, avec Anne Flipo, qui est un parfumeur pour lequel j'ai une admiration immense. Elle a une écriture sublime, et s'est montrée très généreuse avec moi récemment. C'est au contact des autres que l'on apprend durant toute sa vie de parfumeur, et j'ai l'impression de découvrir énormément de choses avec elle. J'espère que nous aurons l'occasion de travailler de plus en plus ensemble !

Quelles sont vos matières premières de prédilection ?

Il y a des matières que je prise davantage, bien sûr, telles que le ciste ou d'autres notes balsamiques très opulentes, mais je n'aime pas trop l'idée de résumer mon travail à des matières de prédilection. La bonne matière est celle qui est à propos dans l'histoire que je veux raconter, et je ne tiens pas à raconter toujours la même histoire.

Vous avez vécu 2 ans aux Moyen-Orient et vous y voyagez encore beaucoup. Quelles sont les tendances lourdes et nouvelles de ce marché ?

Le marché était déjà très tourné vers les bois ambrés, mais depuis l'ouverture récente de l'Amber Xtreme TM, l'une des notes boisées les plus puissantes du marché créée par IFF, on a vu énormément de lancements influencés par cette matière première. C'est probablement ce qu'il y a de plus excitant en ce moment au Moyen-Orient.

Quels sont les accords et les notes qui intéressent le plus ces clientèles ?

Il y a une diversité esthétique immense, car le Moyen-Orient est un confluent d'influences. La parfumerie a ses racines de cette région, comme tout le monde le sait, mais les créations locales ont été sous très forte influence de parfumeurs Grassois et Indiens.
Beaucoup de gens en Europe se sont intéressés au oud, et beaucoup de marques en ont sorti. Sans conteste, cela a été un apport énorme à la parfumerie occidentale, mais il reste encore tellement de territoires olfactifs passionnants à explorer ! Quand on voit la manière dont ils traitent les roses/safran, les muscs, les bois ambrés, les accords utilisés pour faires des mukhallats, les Bakhoors, etc. Les inspirations y sont inépuisables.

Vous avez écrit les formules de plusieurs parfums de la marque Naomi Goodsir : Bois d’Ascèse, Cuir Velours, Iris Cendré. Au-delà de l’inspiration des créateurs, comment interprétez vous chacun d'eux ? Votre inspiration ?

Bois d'ascèse est la traduction d'un souvenir olfactif de Naomi. Son premier atelier, en Australie, était dans une église désaffectée, où elle faisait des feu de bois. C'est donc cette odeur d'encens d'église entremêlée d'une odeur très fumée, de bois carbonisé. Je travaille toujours pour elle avec une idée de clair-obscur, de sérieux et d'allégresse, de profond et de léger, d'esthétique technique et de confort. Cuir velours est une interprétation de son travail du cuir. J'avais en tête l'univers extrêmement chic, que je perçois comme aristocratique dans ce que cela peut avoir de plus décalé, de la mode de Naomi Goodsir. Je l'imaginais travaillant le cuir dans son atelier, dans une ambiance élégante et cosy, mêlant rhum et tabac sur des canapés Chesterfield et un parquet en chêne. J'imaginais aussi une dualité entre le travail d'un cuir neuf et un cuir travaillé par le temps. Pour Iris cendre, l'histoire est assez amusante, nous avons travaillé un an, mais pendant un an, nous sommes toujours revenu au premier essai, et c'est d'ailleurs celui qui est sorti ! On a voulu un iris dans la filiation de l'histoire et de l'identité que nous avions commencé à créer pour la marque. Mystique, fumé, et cuiré.

Vous avez également travaillé avec Histoire de Parfums pour « Not a Blue ». Quel a été votre angle sur ce projet ?

J'ai travaillé avec Gérald, qui a presque écrit la formule et j'ai plus joué un rôle de technicien. On peut dire qu'il était l'artiste et moi l'artisan. J'aime bien l'appeler mon "dictateur artistique".
Il voulait une note qui soit un OVNI, qui ne ressemble à rien qui existe sur le marché mais facilement acceptable, un parfum cocooning, comme une seconde peau mais avec un sillage immense, ce que nous avons réussi à faire, par un mélange de muscs, de notes boisées, miellées et aldéhydées.